dimanche 18 août 2013

RAY LEMA : LE SENS CACHE DE VSNP

Avec son dernier album intitulé VSNP (Very Special New Production), Ray Lema vient d'amorcer un tournant décisif dans sa carrière musicale, tout le monde est unanime là-dessus. Cependant, quelle signification donner à ce tournant qui intervient quasiment à l'automne d'une carrière bien remplie et apparemment close? Existe-t-il un sens caché à ce revirement qui  a fait basculer un musicien mondialement connu sous le label commode de "World Music", pour se hisser sur les hauts plateaux où souffle l'esprit du jazz le plus pur ? A cette légitime interrogation des mélomanes, cet article voudrait apporter une ébauche de réponse.

Personnellement, j'ai connu Ray alors jeune musicien  encore à ses débuts à Kinshasa, où il venait de monter le Ballet national congolais, une structure-matrice censée faire le mix, en quelque sorte, des riches polyrythmies  traditionnelles du Congo. Riche de cette brève expérience qu'il a abandonnée deux ans après, à la suite de divergences de vues avec les émissaires de Mobutu qui voulaient faire du Ballet national un instrument dédié à la gloire du dictateur, Ray s'était mis en quête, à travers la jungle de la musique congolaise moderne, d'une voie  propre à lui capable de traduire l'expérience unique et exceptionnelle qu'il venait de vivre au contact de sa culture ancestrale. 

Il devint vite le centre d'une pléiade de jeunes musiciens avant-gardistes qui avaient pris l'habitude de se réunir autour de lui  dans une grande bâtisse  située dans la commune de Barumbu. Au cours de ses initiations aux arcanes de la musique traditionnelle congolaise dans les villages de la forêt et de la savanes africaines, il semble que Ray se soit imprégné de la spiritualité profonde qui sous-tend la musique africaine, comme il l'avait fait quelques années plus tôt au petit séminaire de Mikondo pour la musique occidentale. 

Reconnu désormais  "Maître-Tambour" par ses pairs d'hier, Ray présidait sans façons aux destinées de l'organisation informelle qu'ils ont appelée "Tribu du Verseau". A ce titre, il se présentait comme l'inventeur patenté d'une nouvelle musique congolaise moderne, une musique différente de celle jouée par ses aînés: Kabasele Tshiamala dit Grand Kallé, Nicolas Kassanda dit Dr Nico, Luambo Makiadi dit Franco, etc.

Rêve de jeunesse? Peut-être bien. Mais c'est ce rêve-là qui l'a transporté de Kinshasa à Paris via Washington DC. Rêve auquel nombre de ses amis noirs et blancs, aujourd'hui décédés pour la plupart, ont cru et donné le meilleur d'eux-mêmes pour que le projet de Ray voie le jour. Aujourd'hui, c'est chose faite : VSNP est la concrétisation de ce rêve de jeunesse.

VSNP est, en effet, la quintessence audacieuse et géniale de toutes les musiques traditionnelles du Congo, mais aussi le résultat de la longue quête musicale de Ray autour du monde. Cependant, VSNP est bien plus que cela. En choisissant de s'exprimer dans le langage du jazz - "le jazz n'est pas une musique, le jazz est une manière de jouer", aime à rappeler Ray - ce dernier vient, à travers VSNP, de jeter un pont entre le vieux continent noir, naguère ravagé par l'esclavage, et les Amériques où les anciens esclaves africains avaient pris pied et racines pour donner naissance à cette nouvelle expression musicale qu'est le jazz.

Avec VSNP, le jazz vient donc de reprendre pied sur les rivages du continent noir. Mais, on n'y entend plus les accents assombris par les pleurs, les peurs et les lamentations de ceux qui étaient déportés, sans espoir de retour, vers un destin cruel. Ni cris ni larmes d'un peuple broyé et torturé par les affres de l'esclavage. Mais chant exaltant la joie de vivre, harmoniques puissantes de l'architecture de la culture ancestrale traduite en sons. 

Désormais au faîte de la maturité de son art et libéré des contingences commerciales, Ray a retrouvé tout naturellement les voies qui l'ont conduit, à l'âge de 30 ans, au cœur des forêts et savanes africaines, à la recherche des mystères de cet art auquel il sacrifiera tout. 

Ainsi, à titre d'exemple, face aux farouches harmoniques du titre "Heart of Land" (Traduisez : Cœur de la terre ou Ntimansi en kikongo, le nom du village du père du musicien), l'auditeur est transporté dans l'univers mystérieux des masikulu (instrument à vent fait d'une trompe d'éléphant évidée) où, au cours des veillées mortuaires, les "ancêtres-morts-vivants-omniprésents" communient, à travers les funérailles du mfumu  (chef traditionnel) décédé, avec les membres vivants de la communauté.

Voilà brièvement esquissé le sens à donner à la dernière production de Ray Lema.


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