samedi 17 août 2013

INVESTIR DANS L'EDUCATION


J'étais encore un jeune enseignant du secondaire puis du supérieur dans les années 70, lorsque je pris conscience que notre système éducatif au Congo se portait plutôt mal. Déjà, l’État nous payait des salaires dont le pouvoir d'achat ne faisait que rétrécir comme peau de chagrin au fil des mois et des années. Dans un grand nombre d'établissements scolaires du primaire comme du secondaire, le matériel didactique faisait cruellement défaut et l'enseignant, ce laissé pour compte de la société congolaise, était souvent débordé par des classes surpeuplées.

Au lendemain de la reprise par l’État congolais de ce secteur jadis dominé à plus de 60 % par l’Église catholique – processus qu'on a appelé à l'époque « nationalisation de l'enseignement » – on assista à une véritable ruée vers ...la création des écoles. Des établissement scolaires plus ou moins viables se mirent à pousser un peu partout dans le pays. Ce n'était pas très compliqué : il suffisait d'avoir un oncle, un cousin ou tout simplement un ami haut-placé dans l'échelle de l'administration publique, pour être en mesure de décrocher le passe-droits pour la création d'une école. En RDC on appelle ça « agrément ». Ensuite, on allait monnayer ce sésame, rubis sur ongle, auprès de commerçants qui avaient envahi ce secteur porteur. Voici ce que dit de l'enseignement congolais un rapport de la société civile daté de 2006 : "Les écoles sont dans un état déplorable : l'enseignement se fait sans livres de classe et sans matériels pédagogiques, avec un éclairage électrique médiocre ou inexistant et les élèves sont souvent forcés de s'asseoir par terre, faute de pupitres"

Au bout de quelques années de cette pratique, on en est arrivé à ce paradoxe : plus les particuliers investissaient dans l'enseignement, plus l’État congolais se désintéressait de ce secteur qualifié un jour par un ministre de Mobutu d'« investissement à fonds perdus » ! L'on comprend, évaluée à cette aune-là, que l'éducation au Congo ne représente, jusqu'à ce jour, que moins d'un pour cent du budget de l’État, pendant qu'elle constitue, sous d'autres cieux, un secteur prioritaire.

Malgré la promesse de la gratuité de l'enseignement primaire réitérée par le président de la République à l'approche de chaque élection, ce sont encore et toujours les parents qui aujourd'hui financent l'éducation de leurs enfants à hauteur de près de 40 % du budget alloué à ce secteur vital. Intervenant récemment sur les antennes de la Radio Okapi, l'actuel ministre de l'Enseignement reconnaissait l’exiguïté navrante du budget de l'EPSP (Enseignement primaire, secondaire et professionnel). Mais, Maker Mwangu, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a poursuivi en promettant de se pencher (enfin) sur cette question, après deux mandats passés à la tête de ce secteur. Quant à nos élus, dont les enfants étudient pour la plupart à l'étranger, l'on comprend qu'ils se sentent peu concernés par ce problème (le ministre de l'Enseignement n'a jamais fait l'objet d'une interpellation sérieuse dans l'hémicycle).

J'ai quitté l'enseignement en 1975, alors qu'on parlait encore de « cycle d'orientation », un tronc commun placé à l'entrée de toutes les sections du cycle secondaire. Aujourd'hui, ce système conçu par l'Unesco dans les années 60 est devenu caduc. Plus personne n'oriente qui que ce soit. Cependant, on continue encore de parler de cycle d'orientation. La toute-puissance des habitudes ! Bonnes ou mauvaises. En fait, un signe qui ne trompe pas : au Congo, l'enseignement continue de survivre bon an mal an, comme une masse entraînée sur sa lancée par la force d'inertie.

Aujourd'hui, tout le monde déplore le bas niveau atteint par l'enseignement au Congo, avec ses pesanteurs bien connues : baisse constante des réussites à l'examen d'Etat, formation insuffisante des enseignants, bas niveau des diplômes, fraude, corruption, etc. Mais, le diagnostic reste encore à poser de façon claire et officielle, et ce n'est pas demain la veille. Pourquoi ? Parce que, tout simplement, personne, au gouvernement comme au parlement, ne se donne vraiment la peine de se pencher un tant soit peu sur la problématique de l'éducation au Congo.

 Un jour, au cours d'une conférence de presse tenue par l'actuel chef de l’État, un journaliste s'est attiré cette réponse révélatrice de l'état d'esprit des autorités congolaises sur ce sujet vital. Question : « Bientôt, c'est la rentrée des classes. On apprend que les enseignants menacent de ne pas reprendre le chemin de l'école, si leurs revendications (bien connues du gouvernement, Ndlr) n'étaient pas prises en compte. Que répondez-vous à ça ». Réponse : « Oh, vous savez ! A chaque rentrée scolaire, c'est toujours comme ça avec les enseignants ! ». Plus désinvolte que Kabila, tu meurs! No comment...

Toutefois, n'oublions pas que l'Histoire ne s'écrit jamais au brouillon, mais toujours directement au propre. Si nous ne nous occupons pas de former nos enfants aujourd'hui, disons-nous bien que c'est à eux et pas à d'autres, c'est entre leurs mains, si malhabiles les jugions-nous, que nous laisserons le pays demain. On peut estimer ne pas pouvoir compter sur eux pour une heureuse continuation, mais on ne peut pas ne pas compter avec eux pour continuer d'exister en tant que nation. La remise et reprise demain, ce sera avec eux ou elle ne sera pas...

Et pendant ce temps ? Eh bien, pendant ce temps, les autres pays, qui ont compris, eux, l'importance de l'éducation dans l'émergence d'une nation, continuent d'avancer avec constance et détermination dans cette direction. Voire même, ils se présentent, dans certaines matières, comme des véritables leaders... On peut d'ores et déjà considérer qu'ils sont entrés dans le cycle cumulatif des résultats. C'est notamment le cas de la Chine, de la Corée du Sud, du Brésil, pour ne citer que ceux-là. Car, l'émergence ne surgit pas du néant. Elle se prépare, elle se bâtit. Par un long processus d’auto-formation. Une ascèse en quelque sorte. Et, en cette matière, on ne récolte que ce qu'on aura semé.

Le Congo veut compter parmi les pays émergents d'ici 20 ans ? Eh bien ! Il serait temps qu'on s'y mette !

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