vendredi 23 août 2013

LA PEUR DU GENERAL VAINQUEUR


L'Histoire ancienne, et même très ancienne, tout aussi bien que l'Histoire moderne et contemporaine d'ailleurs, fourmille d'exemples de régimes civils ou militaires qui ont été renversés, quasiment sans coup férir,  par des soldats proclamés héros populaires au retour de quelque exploit militaire opéré au front.

C'est le cas, par exemple, du jeune David devenu un véritable cauchemar pour le roi d'Israël Saül, après sa victoire sur les Philistins dont il avait au préalable terrassé  le champion, le géant Goliath. Plus loin on verra, dans la Rome antique, plusieurs généraux vainqueurs s'emparer du pouvoir suprême grâce aux armes.

Dans le cas de la Rome antique précisément, cette pratique était devenue une recette commode pour les jeunes ambitieux assoiffés de pouvoir. Jules César y a recouru, à l'occasion de sa tentative de réduire les populations de la Gaule. C'est ainsi qu'il faut interpréter l'exclamation "Alea jacta est - le sort en est jeté", que lui prête l'histoire, traduisant par là la conscience qu'il avait, en traversant le Rubicon, de poser un acte transgresseur délibéré devant le conduire à la magistrature suprême.   

En ces époques lointaines où la notion de pouvoir constitutionnel était encore inconnue, dès qu'il prenait envie à un soldat, même le plus obscur, de prendre les armes pour soi-disant aller défendre la nation contre quelque ennemi réel ou supposé, l'on pouvait craindre, en cas de succès, un changement de régime dans le pays concerné .

Voilà pourquoi, ayant capitalisé cette leçon d'histoire, les nations modernes se prémunissent généralement contre ce péril en incluant dans leur loi fondamentale une clause explicite, qui puisse être un garde-fou destiné à dissuader des aventuriers de tous bords de recourir aux armes pour s'emparer du pouvoir.

Malheureusement, cette disposition constitutionnelle n'est pas toujours en mesure de garantir les pouvoirs établis contre d'éventuels coups de force. Ainsi, sous la révolution française, la constitution en vigueur n'a pas empêché un jeune officier nommé Napoléon Bonaparte à emprunter ce raccourci pour confisquer le pouvoir d’État et se proclamer empereur avec la bénédiction de l'autorité morale de l'époque, le pape en personne. Plus près de nous, croyez-vous que le général de Gaulle eut été plébiscité par le peuple français s'il n'était entré dans Paris auréolé de la victoire des Alliés sur l'ennemi allemand?

En Afrique, l'Histoire ne manque pas d'exemples à cet égard. Aussi, les pouvoirs en place ne sont-ils pas toujours portés à confier leur sort à des combattants toujours susceptibles d'être tentés de retourner leurs armes contre les autorités  qui les ont mandatés. Préférant à la limite faire appel à des troupes étrangères voire à des mercenaires pour assurer la défense de leurs frontières.

 Au Congo, par exemple, Mobutu a usé du même stratagème pour se rapprocher du pouvoir, finissant par évincer ses maîtres d'hier devenus ses adversaires politiques. En effet, après avoir maté la mutinerie de la Force publique, il était devenu un interface incontournable pour Patrice Lumumba. Et, ce dernier une fois écarté, Kasa-Vubu dut, en désespoir de cause, s'appuyer sur ce jeune officier ambitieux qu'il venait à peine de promouvoir général, pour faire face à la double sécession du Katanga et du Kasaï. Dans ces deux derniers cas, Mobutu a délibérément outrepassé - alea jacta est! - les limites des ordres reçus, se permettant de négocier sans mandat avec les sécessionnistes. 

Se hissant finalement lui-même au sommet de l'Etat,  Mobutu, qui avait un sens politique aiguisé, ne permettra jamais, durant tout son règne, à quiconque de s'arroger le rôle glorieux de général vainqueur. Le général Léonard Mulamba fut parmi les tout premiers collaborateurs du dictateur naissant à faire les frais de cette realpolitik systématique d'élimination des concurrents potentiels.

Certes, l'Histoire ne se répète jamais. Les faits et les contextes sont comme du sable mouvant : ils changent sans cesse. Mais, il reste une constante immuable : l'Homme. Quelles que soient les contingences de l'Histoire, en effet, l'âme humaine demeure la même. Sous l'aiguillon des passions, des ambitions et des craintes, elle réagit toujours de manière identique. Aussi, n'est-il pas trop difficile de discerner, sous le masque des acteurs politiques les plus civilisés, les calculs simples, voire simplistes, ainsi que les grimaces de l'homme des cavernes.

Congolais ou Rwandais d'origine, peu importe : Joseph Kabila ne fait pas exception à cette règle. Au-delà des soupçons de trahison qui pèsent sur lui  quant à la conduite de la guerre à l'Est de la RDC, l'actuel homme fort du Congo n'échappe pas aux mailles de cette analyse historico-politique. La peur, la peur viscérale du général vainqueur, n'est pas absente des motivations qui le font pencher vers telles ou telles options militaires apparemment contradictoires...

Nous ne disons pas que les accusations dont il fait actuellement l'objet sont fondées. Nous ne disons pas non plus qu'elles sont infondées. Nous invitons simplement les analystes de tous bords qui hantent aujourd'hui les médias congolais pour soutenir l'une ou l'autre thèse, à prendre en compte cette donne psychologique qui place l'individu au centre de l'action. A la lumière de cette analyse, il semble que plusieurs vaillants combattants des Forces armées congolaises aient déjà fait et feront encore les frais de cette tactique. Le cas du regretté général Budja Mabe, pour ne citer que celui-là, reste parmi les plus emblématiques à cet égard. 

Ainsi, même si les ordres contradictoires transmis au front à partir de Kinshasa font de Joseph Kabila l'allié objectif des ennemis du Congo, l'attitude du chef de l’État congolais procède avant tout de l'instinct de conservation, à savoir : ne pas se laisser évincer par un général victorieux qui deviendrait ipso facto un héros populaire et, partant, un interlocuteur valable pour ses maîtres africains et occidentaux quels qu'ils soient.

En osant placer sous la lumière crue de l'analyse objective une situation dont Kinshasa entretient sciemment le flou, le député PPRD Muhindo Nzangi a manifestement commis un crime de lèse-majesté. Il a mis le doigt là où ça fait le plus mal. Il a de ce fait, en tant qu'allié officiel de Kabila, manqué de...prévention et de flair. Un crime impardonnable en politique. Et la justice congolaise, si habile à deviner les intentions du chef et à prévenir ses moindres désirs, ne s'est certainement pas trompée de verdict en condamnant le malheureux élu du Nord-Kivu à trois ans de prison. En Congolie, les désirs du raïs ne sont-ils pas des ordres?


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