samedi 30 novembre 2013

LIBERTÉ DE LA PRESSE ET PROTECTION DES JOURNALISTES EN RDC

Avant mon arrivée en France, je n'avais personnellement jamais vécu dans un État de droit digne de ce nom et fonctionnant normalement. En effet, j'ai terminé mes études secondaires en 1965, année où à la suite d'un coup d’État militaire, la RDC a basculé sans transition d'une démocratie encore balbutiante à une des dictatures les plus féroces qu'ait connue l'Afrique postcoloniale. Le nouveau régime durera plus de trente ans, avant d'être remplacé, toujours à la faveur d'un coup d’État, par un pouvoir hybride - mi-civil, mi-militaire - , ayant pour caractéristique majeure d'être en fait un pouvoir d'occupation, puisque dirigé à partir de l'étranger (Rwanda) par un étranger et ses collabos autochtones.

Cette situation est à la base de la distorsion fondamentale qui caractérise la marche et l'évolution de la RDC. De sorte que toutes les institutions et autres activités socio-politiques qui y sont mises en place - élections dites libres et démocratiques, assemblées nationale et provinciales, gouvernements central et provinciaux ainsi que toute l'architecture institutionnelles censée représenter un État de droit -  ne sont qu'une fiction juridique, un simulacre destiné à tromper l'opinion tant nationale  qu'internationale. C'est dans ce paysage institutionnel en trompe-l’œil qu'est naturellement obligée de fonctionner  la presse ainsi que toutes les institutions publiques ou privées qui lui sont rattachées. En conséquence, toute la réalité sociopolitique en RDC est comme dédoublée, vécue au second degré  et devrait par conséquent être appréhendée à deux niveaux, puisque déformée par le prisme d'un dysfonctionnement fondamental.
Je voudrais, pour illustrer mon propos, présenter quelques faits saillants qui démontrent clairement le dysfonctionnement, pour ne pas dire plus, des institutions d'appui à la presse au Bas-Congo, province dans laquelle j'ai œuvré de 2006 à 2012 en tant que responsable de la presse officielle écrite.

Le cas Patrick Palata

J'aimerais d'abord signaler que pendant toute la durée de mon mandat au Bas-Congo (2006-2012), aucune fois je n'ai  vu le gouverneur de province s'inquiéter de ne pas obtenir, année après année et quelle que soit la situation réelle sur terrain, son certificat de virginité en matière de respect de la  liberté de la presse et de protection des journalistes. Et pourtant...

Examinons d'abord le cas de Palata en raison de son caractère emblématique à cet égard. Palata est le nom d'un jeune journaliste congolais qui a été arrêté, interrogé et écroué à la prison centrale de Matadi, avant d'être transféré à la prison de Buluwo au Katanga, où il croupit encore à ce jour. Au motif qu'il était de connivence avec un officier supérieur dissident du pouvoir en place, le général Munene, qui vit actuellement en exil à Brazzaville. Comme preuve, on aurait mis la main sur son carnet d'adresses - qu'est-ce qu'un journaliste sans un carnet d'adresses bien fourni, je vous le demande? - et, ô crime! le nom de cet officier y figurait.

Il convient peut-être d'ajouter que Patrick Palata œuvrait en tant que directeur de programmes dans une chaîne de l'opposition (CCTV) appartenant à l'ex-sénateur congolais Jean-Pierre Bemba actuellement  détenu à la CPI à La Haye. Et qu'il avait pris la détestable habitude de passer régulièrement sur cette chaîne des émissions sur l'illustre prisonnier. De là à vouloir le faire taire - peut-être pas définitivement, mais suffisamment longtemps, en tout cas avant les élections de 2011 - il n'y avait qu'un pas qui fut allègrement franchi...sous le nez et la barbe des responsables de la presse au Bas-Congo (UNPC, JED, etc.) réduits à l'impuissance. Est-ce que RSF a-t-il été informé? Je doute fort, et ce que les institutions nationales d'appui à la presse n'ont pas dénoncé expressément, n'existe pas pour RSF.

 Rébellion au sein de la confrérie

Un autre cas de figure propre à illustrer le dysfonctionnement des organes d'encadrement de la presse en RDC, est bien celui d'une rébellion caractérisée de l'éditeur d'un tabloïd paraissant au Bas-Congo.

Ce tabloïd est notoirement connu pour pratiquer ce qu'on pourrait appeler le gangstérisme médiatique, ou plus vulgairement le chantage habilement monnayé des autorités politico-administratives. Au point que son éditeur est considéré comme un mouton noir au sein de la profession. Mais ce monsieur est un homme influent au sein du microcosme politique du Bas-Congo où, depuis plus de dix ans, il s'arrange toujours pour œuvrer dans les cabinets politiques des différents gouverneurs qui se sont succédé à la tête de cette province. Détenteur des secrets des uns et des autres, il peut ainsi démolir le gouverneur sortant au profit du gouverneur entrant et vice versa. Un petit jeu fort lucratif, s'il faut en croire la rumeur...

En 2007, il s'est, selon son habitude, attaqué au gouverneur sortant, dont il avait été l'éminence grise durant deux mandatures, en portant contre lui des accusations infamantes. Ce dernier porta plainte contre le journaliste auprès de l'UNPC. Jugé et condamné par le tribunal des pairs, l'éditeur fut frappé de suspension pendant une période déterminée et son journal interdit de paraître pour la même période.

Que fit l'éditeur fautif? Vous croyez qu'il obtempéra? Non! Il soudoya un membre du tribunal des pairs. Celui-ci révéla que le président de cette organe de l'UNPC avait été corrompu par l'ancien gouverneur et que par conséquent la sanction prise contre l'éditeur était entachée d'irrégularité. L'éditeur incriminé s'en tira ainsi à bon compte et le journal a continué à paraître sans être inquiété, jetant ainsi le discrédit sur la corporation...  Naturellement, l'UNPC ne s'en porte pas plus mal qu'avant. Ainsi fonctionnent les institutions dans la république bananière...

Des conférences de presse bidons placées sous la protection de JED

J'en viendrai maintenant à parler du gouverneur du Bas-Congo lui-même, pour rappeler le souvenir de deux conférences de presse inoubliables qu'il a tenues à Matadi, l'une en 2010, l'autre en 2011. Deux exemples, ce sera amplement suffisant pour étayer mon propos, puisque de toutes les façons, de conférences de presse, il n'en a organisé que trois durant son mandat de cinq ans...

La première eut lieu dans sa résidence officielle en 2010, si mes souvenirs sont bons. Toute la presse de la province y était conviée. Elle dura environ deux heures. Avant que le gouverneur ne prît la parole, l'assistance fut invitée à visionner pendant près de trois quarts d'heure un film relatant les réalisations du chef de l'exécutif provincial en faveur de la population du Bas-Congo. Vint ensuite l'exposé magistral du gouverneur...sur le même sujet. Celui-ci dura à peu près le même timing, de sorte que lorsque les journalistes furent enfin autorisés à poser leurs questions, il restait très peu de temps et beaucoup d'entre ceux-ci dormaient déjà, assommés par l'avalanche des chiffres et des faits présentés par le film et l'exposé du gouverneur.

Alors que quelques vaillants chevaliers de la plume et du micro s'apprêtaient à poser quand même les questions qui leur tenaient à cœur, le représentant de JED (Journalistes en danger) de l'époque se leva et déclara sur un ton péremptoire : "L'exposé de son Excellence monsieur le gouverneur était tellement clair et convaincant, que tout questionnement s'avère inutile". Silence dans la salle. Mais, un doigt timide se lève quand même. Je n'oublierai jamais la question que posa ce jeunot qui, semble-t-il, venait de l'arrière-pays comme on dit là-bas. "Excellence, demanda-t-il avec une ingénuité désarmante, par quel miracle parvenez-vous à réaliser toutes ces choses?" Re-silence dans la salle. Je crois que le gouverneur lui-même était... désarmé et embarrassé devant tant de candeur. Il bredouilla une réponse.

Beaucoup d'entre nous, surtout les anciens, se sentaient déçus et humiliés. On prit encore deux ou trois questions qui donnaient dans le même registre. A croire que c'était préparé d'avance. Je levai le doigt et posai ma question. Elle avait trait à la gestion du porte-feuille des mines, secteur pour lequel, curieusement, le gouverneur avait créé spécialement un commissariat ayant rang de ministère, en violation de la loi régissant la formation des gouvernements provinciaux. Remous dans la salle. Le gouverneur fit appel à l'expertise du commissaire aux mines. Celui-ci s'empressa de me fixer un rendez "pour avoir toutes les informations dont j'avais besoin".

Le lendemain, je reçus en mon bureau la visite d'un monsieur que je voyais pour la première fois. Il tenait à me féliciter pour "avoir osé poser une vraie question". "Nous suivons tout. Nous savons ce qui se passe", dit-il avant de prendre congé. Je ne l'ai plus jamais revu.

Le deuxième cas du genre eut lieu tout juste avant l'élection présidentielle de novembre 2011. La fièvre électorale frôlait les ultimes degrés du thermomètre dans la province. Le gouverneur décida une fois de plus de convoquer tous les professionnels des médias du Bas-Congo dans la capitale provinciale. Lieu : flat-hôtel Ledya, l'hôtel le plus chic de la place.

En arrivant sur les lieux, je fus frappé par l'atmosphère de kermesse et d'excitation qui y régnait. Tous les sièges étaient envahis par des jeunes voyous - des kuluna comme on dit là-bas -  vêtus aux couleurs du parti présidentiel, le PPRD. Les journalistes, eux, étaient fermement invités à occuper le centre, de sorte que nous étions, au milieu de cette horde bruyante, comme un îlot qu'entourent les flots tumultueux d'une mer agitée. Je compris que ce n'était pas, ce ne serait  pas une conférence de presse, mais, au mieux, un rassemblement politique, au pis, un véritable traquenard pour les journalistes. Le message subliminal était clair. Je jetai un coup d’œil autour de moi : le représentant de JED était là. Cependant, contrairement à la fois passée, il n'était pas au premier rang, mais relégué comme nous tous au milieu de la marée humaine qui nous encerclait. Manifestement mal à l'aise, il semblait afficher un profil bas. Comme quoi, même les collabos les plus fidèles peuvent sentir lorsque certaines limites sont franchies...

Le gouverneur arriva, accompagné de son épouse! A peine assis, il harangua la foule, les journalistes compris, sur le thème de l'attachement du président de la République pour la province du Bas-Congo, attachement attesté par les multiples réalisations présidentielles en faveur de la province, etc. A chaque phrase de l'orateur, les "camarades" du parti manifestaient  leur approbation par des cris, des acclamations et des sifflets.

Le tour des journalistes étant venu de poser des questions, on ne put en poser qu'une seule, mais, cette fois, elle était solide, bien tassée. Nous regardions avec une incrédulité teintée d'admiration ce jeune confrère qui, bravant toute cette théâtralisation destinée à intimider les professionnels des médias, posait tranquillement sa question. Le représentant de JED lui faisait discrètement signe de se taire. Mais c'était trop tard. Le gouverneur s'emporta. Les jeunes voyous du parti présidentiel se mirent à conspuer le journaliste qui dut, sous le regard courroucé du gouverneur, décliner son identité et l'organe qui l'employait. "D'autres questions?", demanda ensuite le gouverneur. Silence. "Plus de question?", insista-t-il en balayant d'un regard menaçant les malheureux journalistes. "Non!", répondit en chœur la foule des badauds. Applaudissements. La séance est levée.

 Le lendemain j'appris que le jeune confrère, qui œuvrait à Radio Bangu, dans le district des Cataractes, était "poursuivi" par les services du gouvernorat - j'ignore par quelles voies et quel fut son sort final. Est-ce que RSF le sait? Mais comment le saurait-il, puisque ce que JED n'a pas dit n'est pas censé avoir eu lieu? Ce que je sais, c'est que cette année-là aussi, comme toutes les années précédentes, le Bas-Congo a été cité comme une province exemplaire en matière de respect de la liberté de la presse et de protection des journalistes en RDC.

Loin de moi l'idée de vouloir discréditer JED et ses dirigeants qui œuvrent dans un  environnement politique difficile, probablement un des plus viciés de la planète. Mais il me revient, au moment où j'écris, que le confrère Patrick Palata continue de croupir dans une cellule de la prison de Buluwo au Katanga. En dépit de la promesse présidentielle de libérer les prisonniers d'opinion.


LE MUSICIEN RAY LEMA LAUREAT DU PRIX CHARLES CROS


Le pianiste-guitariste et chanteur franco-congolais Ray Lema a été proclamé jeudi 21 novembre dernier lauréat du prix Charles Cros pour son dernier album intitulé VSNP (Very Special New Production). Au terme de trente ans de présence sur la scène musicale internationale, ce prix vient à point nommé pour couronner une carrière singulière partie des forêts et savanes du bassin du Congo où Ray Lema s'était, à moins de trente ans, attaqué au projet fou de fédérer plus de trois cents ethnies autour d'un programme unique fait de danses et de musiques, avant de se lancer, début 1980, à la conquête des musiques du monde, catégorie où l'on classe aujourd'hui encore, sans doute par défaut, ce musicien qui défie toute classification.
Né en République démocratique du Congo, Ray Lema a découvert son talent pour la musique au petit séminaire de Mikondo situé dans la périphérie de la mégapole Kinshasa. A l’âge de 13 ans, il s’initie au piano sous la férule d'un prêtre de la congrégation de Scheut, prend plus tard des cours de guitare et abandonne volontairement ses études de chimie à l'Université de Kinshasa, pour suivre son génie.
C'est l'époque où il accompagne quelques géants de la musique congolaise, notamment Léon Bukasa et Grand Kallé, tout en se familiarisant avec les maîtres américains du soul, du jazz, du rock et du funk. De cette époque date le culte qu'il vouera toute sa vie à Jimmy Hendrix et Herbie Hanckoc notamment, au point que dans son dernier opus, qui le campe de plein pied dans le monde du Jazz, une des pièces est dédiée à ce dernier.
Nommé directeur du Ballet national du Zaïre en 1974, il prendra six ans plus tard son envol grâce à la Fondation Rockfeller qui lui offre un séjour d'étude aux Etats-Unis, étape qui marque, pour cet assoiffé de l'alchimie musicale, le début d'une exploration tous azimuts dans ce domaine. En effet, curieux de toutes les musiques, Ray Lema collabore alors et fraie avec les grands de la scène musicale internationale : Steward Copeland (ex-batteur de Police), le professeur Stefanov et son ensemble de voix bulgares, les Tyour Ganoua d’Essaouira, etc. Auteur d’une vingtaine d’albums, tous différents les uns des autres, Ray Lema avait déjà engrangé plusieurs prix, dont un Django d’Or, avant de recevoir le prestigieux prix Charles Cros. Fondée en 1947, au lendemain de la 2ème guerre mondiale, l'Académie Charles Cros a pour mission de défendre la diversité musicale, veiller à la préservation de la mémoire sonore, soutenir la création, le développement des carrières d'artistes, l'esprit d'entreprise ainsi que le courage des éditeurs graphiques et phonographiques . Une fois par an, elle décerne ses Grands Prix du disque. Ainsi, pour ce 66è palmarès, plus d'une vingtaine d'artistes ont été nominés sous diverses thématiques : musique contemporaine, musiques du monde, blues, jazz, etc.
Actuellement, la priorité pour Ray Lema demeure l’enseignement musical en Afrique. A cette fin, il a mis sur pied le projet UMA (Université de musique africaine) pour lequel il organise souvent des ateliers à travers le continent.